L’immigration est un sujet trop essentiel pour ne pas le traiter de manière factuelle,
sans hystérie et sans caricature.
Les voyants clignotaient déjà depuis un moment, mais la France d’en haut s’en moquait, ou, plus vicieusement,
détournait le sens du message.
La France d’en bas, la France périphérique, la France des petits blancs, peu à peu rentrait en rébellion.
On fit ainsi semblant de croire que la foule immense qui en, décembre 2017, se massait à Paris pour l’enterrement
de Johnny n’était que l’expression d’une nostalgie sentimentale pour un chanteur populaire, adoré de ses fans.
Au premier degré, oui, sans aucun doute, mais l’explication était tout de même un peu courte.
La dimension identitaire fut occultée.
Et pourtant elle crevait les yeux.
La foule, à une écrasante majorité, était blanche et populaire.
Certes, elle n’exprimait aucune revendication de quelque ordre que ce soit, mais sa présence massive disait
quelque chose de terriblement puissant qui dépassait l’enjeu de l’hommage à l’idole perdue.
L’idole des jaunes.
Cette foule innombrable disait la détresse d’une population rendue invisible dont seul un chanteur de rock maintenait
une conscience identitaire dans l’espace publique officiel que représentent les médias de masse.
On est « Johnny » comme on est d’un pays ;
Le peuple d’en bas, ce jour-là, au vu et au su de tous, c’est-à-dire sous l’œil des télévisons,
a imposé la force de la représentation de lui-même à tout le pays.
Cette France existe encore et, quand elle se mobilise, elle est la puissance dominante.
Les gens se sont vus ensemble, se sont comptés, ont partagé les mêmes émotions et ont communié dans
un sentiment de commune appartenance.
La mise en scène du collectif n’est jamais neutre, elle avive la conscience de soi.
Objectivement, la mobilisation des gilets jaunes s’exprime comme une réplique de la foule de décembre 2017.
Les mêmes gens, les mêmes visages, les même attitudes ;
L’homme qui, probablement malgré lui, incarnait leur sensibilité brute et refoulée, les avait quittés, laissant un grand
vide qu’une colère rentrée pouvait désormais investir:
C’est bien là le grand mystère du phénomène Johnny, avoir tellement incarné la sensibilité
des classes populaires françaises sur plusieurs décennies, alors que la mythologie qui le fascinait,
lui, et qu’il voulait transmettre est celle de l’Amérique.
La France qui souffre, qui fume et qui pollue
Dans la ferveur populaire pour le chanteur, il y a aussi l’expression d’une souffrance,
d’un manque, comme un déficit d’identité à combler, et qui renvoie à la nostalgie d’une France
encore proche de ses racines villageoises et homogènes, celle des Trente glorieuses, à la
mémoire si vive et lointaine à la fois.
Les baby-boomers forment toujours la masse de ses
fans et Johnny a été le porteur d’une fierté populaire, comme Edith Piaf l’avait été une génération avant.
On oublie aujourd’hui, bien volontiers, l’épisode, certes commercialement scénarisé, de sa confrontation avec
le chanteur Antoine, quand les cheveux longs, les chemises à fleurs et le
« Cheveux longs et idées courtes » fut la réponse cinglante du rocker:
Faut-il mendier son pain et ne plus être fier ? ».
Bien du temps a passé depuis et Johnny a endossé bien des costumes pour bien des rôles et les bobos
l’ont même trouvé tendance.
La voiture, comme le cheval dans le Far West, objet indispensable à la survie économique, est aussi signe d’indépendance
et de fierté.
Dans l’affaissement social ambiant qui frappe les classes moyennes et populaires, la voiture reste un des derniers
bastions, avec le sport, où peut s’exprimer un désir de force et de liberté.
Depuis longtemps d’ailleurs, la gauche sociétale déteste l’automobiliste qui incarne à ses yeux toute la dangerosité
du « beauf », comme elle détestait le sport de masse, « opium du peuple ».
Elle a bon dos la transition écologique quand la vache à lait fait aussi office de bouc émissaire de l’arrogance de classe.
Les neuf engins à moteur de Nicolas Hulot, dont six voitures, ne semblaient pas beaucoup tourmenter sa conscience d’écolo.
80 km/h, la vitesse des technocrates
Macron se prend en pleine figure l’explosion de la bombe à retardement du prix du carburant, mais il ne faut
pas oublier que c’est le Premier ministre, Edouard Philippe, qui a allumé la mèche de l’engin avec
sa mesure sur les 80 km/h.
Mesure gratuite, mesure sans aucun sens que personne ne revendiquait, dont les effets positifs sont
absolument nuls au regard de la dimension de brimade qu’elle représente pour ceux qui la subissent.
Il a pris cette décision tout seul, sans consulter personne, avec la détermination d’un chef de guerre,
mais pour livrer une bataille de soldats de plomb.
Le fait du prince dans toute sa trivialité ;
Son ministre de l’Intérieur, vieux politicien madré, avait senti la mauvaise affaire,
et prit ses distances avec cette mesure forcée ;
De sa bonne ville de Lyon, il doit aujourd’hui regarder le désastre
avec le soulagement de celui qui vient d’échapper à un accident.
Plus un pouvoir est faible sur le fondamental, plus il est inflexible sur les détails qui briment et humilient ;
Avec les 80 km/h, les clignotants sont passés à l’orange foncé, toute personne à l’écoute de l’air du temps pouvait
le ressentir et le voir.
La multiplication des radars déjà et la hausse du coût des amendes avaient exaspéré l’humeur populaire ;
Mais aucun des signaux ne fut entendu ; le silence et l’indifférence comme toute réponse avec, à l’horizon, une nouvelle
hausse des taxes carburants, et celle des péages ;
Pourquoi ne pas dire alors, que le tabac désormais est un vice, ou un plaisir, réservé aux riches !
La France des siphonnés
J’avais écrit dans ces mêmes colonnes, il y a un peu moins d’un an, que Macron allait rapidement
se casser les dents sur le principe de réalité parce que sa politique frappe d’abord des classes moyennes fragilisées
qui constituent le moteur de l’économie.
Depuis plus de trente ans, chaque nouveau gouvernement donne un coup de massue fiscal pour installer
son action politique, et se fait sanctionner dans la foulée.
Macron n’est que le digne successeur de ses prédécesseurs, mais la France moyenne et populaire n’a plus
de réserves, d’argent ou de patience.
On lui demande de sacrifier son présent immédiat au nom d’un futur invisible pour ses enfants et petits enfants ;
Au fur et à mesure que l’ «antiracisme » médiatique perd de sa puissance normative face aux chocs du réel,
l’écologisme institutionnel fait office d’idéologie de substitution de domination du peuple.
Désormais, tout ce que le pouvoir impose par la contrainte se justifie par l’impératif de l’air
pur et de la bonne santé et toute contestation de cet impératif moral relève du sacrilège.
La ville de Paris a été le laboratoire de cet écologisme répressif.
Et l’automobiliste est la première victime de cette nouvelle sacralité.
Là où le sacré domine, la raison critique est sommée de reculer.
Seules l’écoute et l’empathie pourraient désamorcer la violence du bras de fer engagé, mais l’arrogance
et l’immaturité du pouvoir ne laisse rien entrevoir de salutaire.
on s’identifie à lui, comme à une histoire, une légende, un mythe, un récit collectif.
parions que bien des acteurs de cet automne 2018, étaient dans la rue juste un an plus tôt pour exprimer
une tristesse que sous tendait aussi beaucoup de frustration.
« Quoi, qu’est-ce qu’elle a ma gueule, si tu veux te la payer, viens je rends la monnaie » !
« peace and love »
sont venus ringardiser la virilité simpliste du blouson noir et des
« mauvais garçons » en bande («… s’ils donnent des coups, ne sont pas méchants, je vous l’avoue… »).
« Faut-il pour être un homme ne plus chanter l’amour ?
Mais la masse de ses fans, les images le montrent avec évidence, est restée fidèle à ses mythologies viriles.
La France de Johnny aime les blousons, le cuir, les copains, la moto, et aussi la bagnole !
comme un désir obtus d’exercer sa puissance sur les petits.
il fut sèchement rappelé à l’ordre.
on ne lit peut-être pas Tocqueville à l’ENA ?
les actes de vandalisme se multipliaient sur le bord des routes.
sans oublier, bien sûr, tout le reste qui frappe à coup régulier :
un technocrate de ministère s’est-il jamais demandé ce que représentait pour un smicard une hausse de plusieurs
euros du paquet de cigarettes en quelques années ?
un marché de dupes qui ne marche plus.
Courtoisie par Denis Bachelot
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