ref:topbtw-3804.html/ 14 Dic. 2023
Parigi
Le président Macron refuse d'abandonner le texte, et tente de minimiser la crise politique et de cacher son exaspération.
Il espère toujours faire voter la loi avant Noël.
Analyses
Lors du premier jour de son examen à l'Assemblée nationale, le projet de loi Immigration, porté par Gérald Darmanin, a été rejeté.
La motion de rejet, proposée par Benjamin Lucas (écologiste), a recueilli 270 voix contre 265. Pourtant, sur TF1, le ministre de
l'Intérieur a indiqué lundi soir à 20 h que le texte ne sera pas retiré et continuera son " chemin institutionnel ".
Qu'est-ce que cela veut dire ?
Voter une motion de rejet signifie que l'Assemblée nationale refuse d'examiner le texte.
Le parlement met ainsi le gouvernement face à l'impossibilité de changer quoi que ce soit faute de majorité
(sauf à avoir recours au 49.3, ce qui est compliqué hors textes budgétaires).
C'est souvent une étape avant la possible adoption d'une motion de censure qui, elle, fait chuter le gouvernement.
Ce vote a été une surprise et montre que certains tabous sont en train de tomber.
D'abord il a manqué des voix au camp présidentiel, l'adoption de la motion s'est joué à cinq voix près et une dizaine ont manqué
dans le camp présidentiel.
Ensuite, les oppositions ont accepté de voter ensemble de la LFI au RN.
Les députés de l'opposition se sont constitués en force d'empêchement à défaut de pouvoir être une force de proposition ou d'avoir
la capacité de constituer une alternative.
Concrètement, certaines digues sont sans doute en train de sauter qui faisaient du RN un pestiféré et les oppositions
assument parfaitement cette motion de rejet.
Pour la suite de l'examen de ce texte, Olivier Véran a indiqué hier qu'il passerait en commission paritaire.
L'exécutif fait le choix de la rapidité et d'une certaine prise de risque.
En effet il avait 3 options :
Première option :
renoncer au texte.
Le parlement n'en veut pas, l'exécutif tourne la page.
Une décision qui peut être sage mais qui demande que le parlement soit respecté et la démocratie comprise.
C'est intellectuellement impossible pour la technostructure.
Or le gouvernement Macron est un pur produit de l'idéal technocratique.
Pour quelqu'un comme le président ou la cheffe du gouvernement, le peuple est un amas d'imbéciles qui empêche de gouverner rationnellement et
s'acharne à saboter les bonnes décisions prises pour assurer son bonheur malgré lui.
Ils ne peuvent envisager que le blocage du parlement soit un révélateur de la crise politique qui sévit dans le pays et d'une légitimité
très faible de l'exécutif qui fait que s'opposer à lui de cette manière rapporte politiquement.
En abandonnant le texte, le gouvernement marquait sa reconnaissance du refus du pays exprimé par ses représentants et passait à autre chose.
Mais l'ego présidentiel a été heurté dans la bataille et le président refuse de tirer les conclusions de cet échec.
Cette option n'était donc pas envisageable.
Deuxième option :
reprendre la navette parlementaire.
C'est-à-dire renvoyer le texte au Sénat en deuxième lecture, puis retour à l'Assemblée nationale pour une deuxième lecture.
Là, la prise de risque était énorme pour la majorité présidentielle.
En effet, ce qui arrive à Renaissance est le pire de ce qui peut arriver à un parti politique :
le râteau s'est transformé en piège à loup.
Vouloir un parti qui va du PS à LR n'est pas compliqué en terme économique et social, le gros des troupes est libéral et prêt
à sacrifier le filet de sécurité des Français.
Ils n'ont pas de convictions, pas de projet d'avenir alors ils cultivent le scrupule et un texte comme celui sur l'immigration
est exactement ce qu'il faut pour créer une nouvelle génération de frondeurs, les héritiers de ceux qui ont assuré la chute du gouvernement Hollande.
Il invite aux envolées lyriques autour de la nécessité de l'immigration, du devoir d'accueil et dessine une ligne d'affrontement au
sein de Renaissance.
Le fan-club d'Emmanuel Macron ne s'est pas transformé en parti politique avec une ligne politique claire et son principal ciment,
la personne du président, ne peut se représenter.
La désagrégation commence et chacun retrouve sa sensibilité d'origine sur les clivages sociétaux.
Dans ces circonstances, le débat risquait de devenir étalement des divisions de la majorité, exacerbation des dissensions, risque de rupture.
D'autant que le président de la commission des lois, Sacha Houlié, s'acharne en sous-main à fragiliser le ministre de l'intérieur
et est un des acteurs de l'échec de la procédure législative.
Lui, vient de la gauche Gérard Darmanin de la droite, mais ils ont un point commun :
leur échec à établir un lien avec les Français sur un sujet qui pourtant intéresse les citoyens.
La loi Darmanin n'est pas vue comme changeant réellement la donne et à la hauteur des attentes; quant au discours déconnecté
d'un Sacha Houlié, il se heurte au ras-le-bol profond et à la volonté des Français de voir marquer un coup d'arrêt à l'immigration.
Une volonté qu'ils affirment sondages après sondages sans être entendus.
Le choix a donc été fait de la troisième voie :
le passage en Commission Mixte Paritaire (CMP).
C'est un passage qui n'a rien d'exceptionnel.
Sauf qu'habituellement, il se fait quand le texte voté par l'Assemblée et celui du Sénat est différent.
Il faut donc une CMP pour élaborer un texte commun aux deux Assemblées et rapprocher les points de vue.
La CMP est strictement encadrée, elle ne peut modifier le texte de loi à sa guise, ajouter des amendements, etc.
La CMP n'est pas une troisième lecture du texte.
Une fois rédigé, celui-ci doit à nouveau être voté par les deux assemblées.
Voilà pourquoi le texte issu de la CMP, basé sur celui voté par le Sénat, sera forcément plus à droite que celui voulu par le gouvernement.
C'est là que réside la prise de risque.
Si la CMP est conclusive, que le parlement propose un texte et que celui-ci échoue à être voté car la majorité présidentielle
le désavoue, alors la crise politique sera plus profonde encore et pourrait signer l'éclatement de la majorité et son refus d'accepter
les choix du parlement.
C'est se retrouver en situation de faiblesse de légitimité à la fois dans la relation avec les citoyens et dans la relation avec les représentants.
Ce serait pour le gouvernement, infliger un camouflet au Parlement et rentrer dans un rapport de force dont il n'aurait pas les moyens
de sortir car il ne pourrait faire appel au peuple, tant il est déconnecté de ses attentes.
Les dissensions politiques d'une majorité trop hétéroclite, qui n'a pas su se forger des représentations communes et reste
tributaire de ses anciennes appartenances font que le râteau, utilisé pour ramasser large, est en train de refermer ses dents, mettant
dans un face-à-face délétère les deux composantes de la non-majorité présidentielle.
La volonté présidentielle de brutaliser le parlement en y allant à la hussarde n'est pas un bon signe :
le président veut une CMP lundi 18 décembre pour un vote des assemblées mardi 19. Le président réagit en enfant contrarié et
comme s'il n'était pas comptable de cette cacophonie qui se termine en pantalonnade.
Alors, la France est-elle devenue ingouvernable ?
L'exécutif a trois options pour débloquer la situation :
1) demander à Darmanin de partir
2) envisager un remaniement ministériel plus large après les fêtes 3) dissoudre l'Assemblée nationale.
Quels sont les avantages de chaque solution et les scénarios envisageables ?
Je vous propose enfin un dernier scénario :
la démission d'Emmanuel Macron.
Mais n'est-ce pas un rêve un peu fou de commentateur ?
Explorons ces options.
Scénario démission :
La démission d'Emmanuel Macron n'arrivera pas !
L'homme trouve toujours un substitut sur lequel faire porter ses propres erreurs et est incapable de toute remise en cause.
Et même dans une situation politique bloquée, il peut tout à fait se maintenir au pouvoir en ne faisant rien.
Départ de Darmanin :
Gérald Darmanin a proposé sa démission lundi soir, qui a été refusée.
La vérité est donc qu'il n'a jamais voulu démissionner.
Il lui suffisait non de proposer sa démission, mais de partir tout simplement.
Là, il s'agissait d'une mise en scène très ancienne mode, destinée à redonner du crédit et de la
légitimité à un ministre via l'onction présidentielle.
Cela ne peut marcher car justement la légitimité du président est faible.
Cela entérine simplement le fait qu'Emmanuel Macron n'a personne d'autre sous la main !
Et il y a derrière, la volonté d'envoyer un message à la frange gauche de Renaissance, en plein retour du refoulé frondeur qui a achevé le PS.
Mais cette tentative de recréditation n'a aucun effet à l'extérieur. Pourtant, pour Gérald Darmanin,
rompre avec le " en même temps " présidentiel sur la question de l'immigration aurait été un moyen de rentrer dans le
jeu de la future campagne de 2027.
En termes d'avenir politique, c'était d'ailleurs la bonne décision, il aurait même été crédité de courage.
Il aurait expliqué que, n'ayant pas les moyens d'agir sur son domaine de compétence et face à une majorité déchirée
refusant de prendre ses responsabilités, le compromis était impossible et surtout finissait par ressembler à un arrangement
politicien réalisé au détriment des attentes des Français et de la lisibilité de l'action.
Ne pouvant agir, qu'il démissionne est logique et il aurait pu faire entendre une petite musique plus souveraine sur la question
de l'immigration, plaçant ainsi ses pions pour 2027.
Là, la séquence ne peut s'achever que de façon assez minable et laissera des traces dans la majorité en même temps qu'elle a exhibé toutes
les faiblesses du pouvoir actuel.
Dissoudre l'Assemblée :
Cela deviendra peut-être inéluctable, mais ce sont les faits et l'accumulation des blocages qui entraineront cette décision.
Pourquoi ?
Parce qu'aujourd'hui, à part au RN, personne n'a intérêt à la dissolution.
Pour le PS et LR, la question se pose de la poursuite de leur effacement du paysage et si LR a réussi son coup sur l'immigration,
elle n'a toujours ni ligne politique lisible ni leader reconnu.
Pour LFI, la question démocratique ne se pose plus vraiment.
Ils sont perdus dans un rêve révolutionnaire et espèrent plutôt une prise de pouvoir grâce au chaos, d'où la stratégie de conflictualisation
mise en œuvre et la dérive vers la violence politique.
Cette gauche totalitaire est minoritaire en France, mais garde quand même un socle électoral étonnant eu égard à son positionnement fort
peu démocratique.
Il n'en reste pas moins que l'image de Mélenchon et de LFI s'est fortement dégradée et que le parti et son leader sont vus comme des dangers pour la démocratie par de plus en plus de Français.
Cela peut avoir des effets dans les urnes qui entameront leur hégémonie à gauche et réduiront leur influence.
Du côté de Renaissance, les seules martingales qui leur permettent d'exister sont leur allégeance au président de la République
et la dénonciation de l'extrême-droite comme retour de la bête immonde.
Le problème est qu'Emmanuel Macron est franchement démonétisé.
Quand un président dissout, c'est qu'il pense que le pays le soutiendra contre les turbulences de sa majorité et de son opposition.
Là, on ne voit pas comment il pourrait s'en sortir :
sa loi immigration ne correspondant pas aux attentes des Français, il ne gagnera
pas le soutien populaire.
La fracture de sa majorité est inscrite dans le fait que, n'ayant pas de projets pour la France, il ne
peut transcender les sensibilités qui composent sa majorité par l'action.
Les fractures de sa majorité ne pourront donc que
s'approfondir sous la tension et cela ne devrait pas lui permettre de retrouver une majorité dans les urnes.
Remanier :
en cas de crise politique, le remaniement doit être porteur d'un message politique qui s'incarne dans le choix des hommes,
à travers leur appartenance ou à travers ce qu'ils incarnent.
Un remaniement traduit une alliance politique nouvelle, ou une orientation idéologique différente.
Mais qui nagerait dans l'eau glacée pour monter dans le Titanic en train de sombrer ?
Une alliance à gauche est impossible ou inutile :
le PS ne représente plus rien, LFI est dans son délire révolutionnaire, quant aux Verts, embourbés dans leur stratégie woke, ils n'incarnent
plus vraiment le souci de la planète et perdent du terrain.
S'allier avec eux est inutile.
De toute façon ils ne sont pas en demande.
A droite, même si LR est amoché, s'allier avec le parti présidentiel serait du suicide alors que celui-ci est destiné à éclater
un fois qu'Emmanuel Macron ne sera plus au pouvoir.
On ne rejoint pas celui que l'on peut dépecer simplement en attendant.
Si les LR ont un peu de sang-froid, ils laisseront sombrer une majorité sans avenir et reconstruiront plutôt une ligne politique cohérente.
D'autant qu'un tel rapprochement peut également faire éclater Renaissance.
On voit mal Sacha Houllié et Eric Ciotti travailler ensemble.
Mais, surtout, le fait que Renaissance n'ait pas d'avenir fait de tout rapprochement avec le parti présidentiel,
une prise de risque avec peu de chances de gain politique associé.
Quant à débaucher quelque figure emblématique, on a de la peine à voir surgir un nom signifiant ou incontournable dans le milieu politique.
Quant aux recrutements ministériels en mode " exaltation de la société civile ", ils n'ont rien donné de
bien convaincant quand ils ne se sont pas finis en tragi-comédie.
L'exécutif nous rappelle que le projet gouvernemental entendait durcir la législation pour combattre l'immigration illégale.
Et que de telles mesures font plutôt consensus dans l'opinion.
LR et RN ne risquent-ils pas de passer pour de dangereux irresponsables aux yeux de leurs électeurs, ce que ne manque pas de souligner l'exécutif
depuis lundi soir ?
A quel jeu jouent Olivier Marleix et Eric Ciotti ?
Si le projet du Sénat est repris par le gouvernement, les Français seront sans doute plus satisfaits, mais la majorité
présidentielle risque de le désavouer elle-même car elle compte pas mal de partisans d'une immigration peu régulée.
C'est néanmoins le seul moyen d'avoir le soutien des LR et donc de faire passer la loi.
La vraie question est :
est-ce-que cette loi correspond aux attentes des Français, est-ce qu'elle change vraiment la donne,
ou est-elle la énième loi qui ne résoudra toujours pas la question des reconduite à la frontière, de l'attribution de la nationalité
française, de l'absence de respect des frontières, de la multiplication des " mineurs isolés ", de l'installation de clandestins…
Voire pour être plus cynique : est-ce-que cette loi est vue par les Français, quelle que soit sa réalité effective, comme à la hauteur des enjeux.
La réponse est non.
Aucun point lié au durcissement ne s'est installé dans le débat public, personne ne sait vraiment quels problèmes
concrets cette loi entend résoudre.
La seule chose qu'ont retenue les citoyens c'est que l'on allait ouvrir l'immigration dans les métiers en tension.
Donc, qu'une loi dont ils espéraient qu'elle ralentisse fortement l'immigration avait pour résultat notable d'ouvrir encore plus les frontières.
Pour ceux qui n'ont pas perçu le paradoxe, ne reste que le sentiment du " en même temps ".
Un " en même temps " vécu non comme un souci d'équilibre entre humanité et fermeté, mais vu comme un moyen de
mettre en avant la fermeté pour au final justifier la prolongation du laxisme et des dispositifs dilatoires.
Cette loi Immigration ne correspond pas aux attentes des Français, et ne peut être illustrée par un exemple de fermeté qui ait un sens pour eux.
Elle n'a que le discours politique qui assure qu'elle permettra plus de reconduites à la frontière mais personne n'y croit plus.
Le discours n'est pas performatif, les exemples concrets ne sont pas là, les Français pensent que cette loi n'est pas adaptée et sera
dépassée à peine votée.
Ils peuvent donc trouver que la motion de rejet était légitime, que le fait que LR ait tapé du poing sur la table était
nécessaire et être bien plus satisfait par le texte issu des travaux du Sénat que par celui du gouvernement.
Et si la majorité présidentielle ne le vote pas, elle montrera juste que cette lecture était juste et se tirera une balle dans le pied.
Et si la CMP fait sauter les mesures les plus symboliques, elle donnera à LR des arguments pour ne pas voter le texte au nom du respect
de la volonté des Français.
Le gouvernement est décidément en mauvaise posture.
Marine Le Pen jubile et attend..
Marine Le Pen apparaît depuis lundi soir comme la grande gagnante de la situation.
Le rejet de la loi immigration ne revient pas à une motion de censure du gouvernement qui serait passée, mais cela y ressemble…
Alors, voir Marine Le Pen ou Jordan Bardella débarquer à Matignon, après des élections législatives anticipées est-il probable ?
Le souhaitent-ils ?
C'est politiquement compliqué.
La seule légitimité d'Emmanuel Macron est de s'être posé en rempart contre l'extrême-droite et d'avoir diabolisé Marine Le Pen.
Après, si le RN gagne des législatives anticipées à lui tout seul, pour le coup la question de la démission du président
peut se poser, après un tel désaveu citoyen.
Sinon, il peut effectivement se réfugier dans la cohabitation et se présenter en rempart et garde-fou de la République.
Mais ce cas de politique fiction n'est pas dans l'intérêt de Marine Le Pen qui
risquerait d'y perdre pour 2027 le facteur " on n'a jamais essayé le RN ", qui est un des chemins pour élargir son électorat…
( Céline Pina - Redazione - Causer )
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